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Actualité
18 mai 2025
Vivement 2026 pour vivre à nouveau la sérieuse mais aussi festive période des primeurs ! Amère également, parfois. Comme en cette année 2025 liée à la production 2024. Des projets feront sans doute bouger les « primeurs historiques » dès l’an prochain. Bref, la famille viticole garde espoir de voir cette personnalité de la filière qu’est le vin en primeur connaître une nouvelle jeunesse et une longue vie. Cette enquête de WI&NE en témoigne
« Les primeurs, c’est fini. » « Le système est moribond. » Combien de fois a-t-on entendu, depuis des années, ce refrain toujours démenti ? Ces célèbres primeurs, que beaucoup d’autres aires de production regardent avec gourmandise, ceux de l’an 2025 donc, sont terminés depuis quelques semaines. Ils ont vu déferler vers l’ensemble du territoire girondin des milliers de professionnels venus des quatre coins du monde. Un cru « convenable » en matière de fréquentation, ont déclaré les experts.
Ici, nous ne parlerons pas des prix de mise en marché du 2024. Mais des primeurs demain et du système existant. WI&NE a dialogué avec quatre acteurs de la profession, courtier, négociant, viticulteur, conseil. Et que disent-ils ? La tonalité des propos est la même : les primeurs doivent vivre, mais évoluer, bouger, se réinventer.
Ainsi Philippe Tapie, très actif président de Bordeaux Négoce, rappelle que « les primeurs sont une spécificité bordelaise. Il faut les focaliser sur les crus qui doivent monter. » Et il ajoute : « Pour les autres crus, il faut inventer autre chose. » Reste que Philippe Tapie veut à coup sûr conserver les primeurs. « C’est une grande obligation pour l’appellation Bordeaux et pour Bordeaux. À nous de faire évoluer ce que la profession a inventé. »
Olivier Bernard (Domaine de Chevalier) est un viticulteur qui connaît le sujet à fond. Lorsque Wi&NE l’a joint, il se trouvait en Afrique du Sud, où il était invité d’honneur d’une puissante organisation professionnelle viticole du pays. « Le vin est en crise partout, on arrache partout », rappelle Olivier Bernard, pour qui la distribution a peut-être fait des stocks de vin trop exagérés. « Aujourd’hui, le négoce cherche à déstocker. » Le patron du grand cru classé de Graves de Léognan constate que le bas de la pyramide des 6 000 châteaux est saturé alors que le haut a peut-être « tapé trop fort ». Et le constat se confirme : « Les jeunes préfèrent boire des vins jeunes plutôt que de conserver des vins pendant des années. » Dès lors, Olivier Bernard est convaincu qu’il faut réinventer très vite quelque chose sans tuer les primeurs. « Il faut, annonce-t-il, changer la Semaine des primeurs en “Semaine des bordeaux.” Elle va mettre en lumière tout autant et en même temps les primeurs et les vins livrables. » Le modèle, dit-il encore, « passe aussi par une évolution des prix. Le système actuel laisse trop de monde sur la route. »
Thimothée Bouffard, courtier réputé de la place, considère lui aussi que les primeurs sont en quelque sorte à la fin de leur cycle actuel, mais qu’il faut en conserver le principe en trouvant d’autres pistes. Selon lui, « il y a beaucoup trop de stocks ». Comme aurait pu le dire Monsieur de La Palice, « il y a trop de vin et trop de vins non bus. »
Le professionnel du courtage rappelle à juste raison que « le développement du marché chinois a fait que Bordeaux a manqué de stock jusqu’en 2015 ». D’où un emballement à l’époque. On connaît la suite. Pour lui, il y a un réel « manque de valorisation des vins, car, aujourd’hui, l’acheteur en primeur ne récupère pas son investissement. Il convient de mettre des prix raisonnables au départ. » M. Bouffard ne veut surtout pas la mort des primeurs. En revanche, il sent bien qu’une évolution du système est indispensable. Pour lui, elle passe par un « véritable lobby que doit mener et organiser l’appellation Bordeaux, et par une communication bien en phase avec les attentes du consommateur. »
Frédéric Massie, à la tête de Derenoncourt Consultants, conseil vitivinicole et environnemental, confirme clairement que les primeurs sont utiles. « Utiles, mais… », dit-il en nuançant son propos. « Aujourd’hui, ils sont pertinents pour les marques fortes et les petits volumes. » Il ajoute : « Cependant, c’est un danger pour les marques fortes qui ne contrôlent pas les prix lorsque le millésime vendu en primeur arrive sur le marché deux ans plus tard. L’intérêt du primeur, c’est qu’il y ait un gain en valeur pour la production. »
M. Massie explique qu’il s’inscrit bien dans la réflexion actuelle sur l’évolution de la formule vers un couple primeur-livrable. « Cette année, par exemple, pendant les primeurs, chez Derenoncourt, notre évènement a été la mise en valeur les livrables. »
Selon ce professionnel reconnu dans l’appellation, il convient aussi de retrouver la confiance et de mettre fin au « bordeaux bashing » qui court encore. Alors, comment la retrouver, cette confiance ? Frédéric Massie est formel : « Avec un grand millésime et un bas prix. Il faut que le vin soit un produit consommable avec un prix adapté. Il ne faut pas qu’il soit un produit spéculatif… »
À partir de là, faire perdurer et évoluer les primeurs est une réalité à défendre, affirme Frédéric Massie. D’ailleurs, il souligne et rappelle que des milliers de professionnels convergent vers Bordeaux chaque année au mois d’avril. Il faut conserver ce rendez-vous. Donc les primeurs ne sont pas morts.
Enfin, il demande que LE vigneron soit le produit. « Ce ne sont pas les conseils, les intermédiaires, etc. qui doivent être mis en avant. Ils sont là pour aider, guider, mais c’est LE VIGNERON qui doit être mis en valeur, c’est lui ce professionnel qui fait le vin. Donc c’est lui que l’on doit voir et entendre d’abord.» Il y a sans doute là un axe de communication que la profession a peut-être un peu perdu de vue et qu’il va falloir réactiver, réinventer.
Alain Ribet pour WI&NE
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