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Exploitation viticole, étiquetage du vin et marque domaniale : la jurisprudence apporte d’importantes précisions

10 février 2024

Deux arrêts récents viennent apporter un éclairage fort utile à la définition de l’exploitation viticole
et aux mentions qui peuvent être apposées sur les étiquettes des vins qui en proviennent.

C’est tout d’abord la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui, dans un arrêt Weingut du 23 novembre 2023, est venue énoncer qu’un viticulteur peut indiquer sur l’étiquette de son vin le nom de son exploitation viticole même si le pressurage a lieu dans les locaux d’un autre viticulteur.

La notion d’«exploitation » n’est pas limitée aux seules terres dont le viticulteur est propriétaire

Un viticulteur allemand utilisait les mentions « Weingut » (domaine viticole) et « Gutsabfüllung »
(mis en bouteille au domaine) pour un vin produit à partir de raisins provenant de vignobles loués à 70 km de sa propre exploitation. Les vignes louées étaient cultivées par leur propriétaire selon les instructions du viticulteur. Une installation de pressurage était louée durant 24 heures pour la transformation des raisins en provenant, selon les pratiques oenologiques du viticulteur, qui transportait ensuite le vin obtenu vers son exploitation.

Le Land de Rhénanie-Palatinat considère que le viticulteur ne peut pas utiliser les mentions ci-dessus, en particulier le nom de son exploitation, pour le vin vinifié dans les locaux de l’autre viticulteur. Le droit de l’Union exige en effet que le vin soit élaboré exclusivement à partir de raisins récoltés dans les vignobles cultivés par cette exploitation et que la vinification soit entièrement effectuée dans ladite exploitation; c’est la situation que l’on connaît en France avec nos fameuses marques dites domaniales.

Saisie du litige, la Cour administrative fédérale allemande interroge la Cour de justice, qui observe d’abord que, selon le droit de l’Union, les mentions en cause sont réservées aux vins bénéficiant d’une AOP ou d’une IGP. Il faut donc tout d’abord vérifier si les vignobles loués à 70 km de l’exploitation viticole sont eux aussi couverts par cette même AOP ou l’IGP. Par ailleurs, la Cour constate que la notion d’«exploitation » n’est pas limitée aux seules terres dont le viticulteur est propriétaire. Elle peut s’étendre, et c’est là l’intérêt de cette décision, à des vignobles loués et situés ailleurs pour autant que le viticulteur assume la direction effective, le contrôle étroit et permanent ainsi que la responsabilité des travaux de culture et de récolte des raisins.

Pressurage dans un pressoir loué pour une brève durée

Si ces mêmes conditions sont remplies pour le pressurage dans un pressoir loué pour une brève durée auprès d’une autre exploitation et pour autant que ce pressoir soit mis à la disposition exclusive de l’exploitation viticole éponyme, la vinification peut être considérée comme ayant été entièrement effectuée dans cette dernière.Tout récemment, c’est le Conseil d’Etat en France qui, par son arrêt du 18 janvier 2024, met un terme à une véritable saga judiciaire entamée il y a près de 9 ans sur la problématique, fréquente en pratique, des contours de l’exploitation viticole résultant de la « réunion de plusieurs exploitations viticoles » au sens du décret du 4 mai 2012 relatif à l’étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles, et de l’usage de deux ou plusieurs marques domaniales (termes règlementés tels que « château », « domaine », « bastide », clos », etc…) par une seule exploitation viticole.

Etude de cas : une même exploitation peut dans certains cas utiliser deux marques de châteaux différentes

La SCEA Château Reillanne, exploitation viticole produisant des vins d’appellation Côtes-de-Provence sous la marque domaniale Château Reillanne, rachète la propriété voisine, produisant des vins sous la marque domaniale Château Marouine dans la même appellation.

Elle poursuit la commercialisation, à côté de ses vins Château Reillanne, de vins sous la marque Château Marouine alors que cette exploitation n’existe plus, ayant été fusionnée avec la SCEA Château Reillanne. Il est interdit en principe, pour des vins provenant d’une seule et même exploitation viticole, d’utiliser deux marques domaniales (« château », « domaine », bastide », etc…) différentes alors qu’il n’y a qu’un chai (sauf exception bien connue de la cave coopérative, sorte d‘extension du château).

La Direccte de Provence-Alpes-Côte d’Azur fait injonction au Château Reillanne en 2015 de modifier l’étiquetage de ses bouteilles en supprimant la mention Château Marouine. L’affaire, de confirmation en infirmation, est examinée par le tribunal administratif de Toulon, la Cour administrative d’appel de Marseille, le Conseil d’Etat, de nouveau la Cour de Marseille puis de nouveau le Conseil d’Etat statuant définitivement sur second pourvoi en cassation. L’arrêt est important car il apporte des précisions utiles en pratique sur l’article 8 du décret précité, dit « décret étiquetage », sur lequel se basait le Château Reillanne : il confirme que, suite à l’acquisition d’une exploitation viticole par une autre – les deux répondant, avant l’acquisition, à la définition d’exploitation viticole du décret précité – la nouvelle exploitation unique qui en résulte peut continuer à étiqueter deux vins différents sous les deux marques domaniales différentes sans qu’il soit pour autant nécessaire que les bâtiments et équipements de l’ancienne exploitation aient été repris, dès lors que les dispositions de l’article 6 du décret étiquetage (définition de l’exploitation viticole) sont respectées.

En l’espèce, le Château Reillanne assurant une vinification séparée du raisin provenant de l’ancien Château Marouine, le Conseil d’Etat confirme la licéité de la poursuite de l’exploitation de cette seconde marque domaniale ce qui à n’en pas douter aura des conséquences pratiques importantes, tout comme l’arrêt Weingut permettant d’étiquer un vin sous la marque domaniale de l’exploitation même si tout le raisin n’y a pas été pressuré.

Maître Guillaume Marchais
Avocat à la Cour

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