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Actualité
17 juillet 2025
Tribunal de l’Union européenne 25 juin 2025, Comité interprofessionnel du vin de Champagne et Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) / EUIPO – Nero Lifestyle Srl
La protection des indications géographiques a été considérablement clarifiée et étendue depuis une dizaine d’années, tant au niveau règlementaire que grâce à une jurisprudence abondante due en particulier aux organismes de défense et de gestion d’appellations fromagères mais surtout vitivinicoles et de spiritueux, en France en particulier (mais aussi en provenance d’Espagne, d’Italie ou du Portugal).
C’est une nouvelle fois de Champagne que vient une décision pétillante, d’autant plus attendue que devant l’Office européen des marques (EUIPO) et malgré ses précédents favorables, le Comité interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC) avait obtenu des décisions décevantes.
La société italienne Nero Lifestyle exploite des hôtels de luxe sous la marque NERO et décline celle-ci pour divers produits et services, par exemple pour un magazine.
Elle dépose en 2019 une demande de marque européenne pour le signe NERO CHAMPAGNE pour désigner notamment des « vins conformes au cahier des charges de l’appellation d’origine protégée Champagne » en classe 33. C’est-à-dire que le vin concerné est bien un Champagne :
Le CIVC et l’INAO forment opposition sur la base de l’AOP Champagne enregistrée dans l’UE, sur le fondement notamment de l’article 103 du règlement n° 1308/2013 alors applicable, qui liste un grand nombre d’atteintes sanctionnables à une AOP ou IGP.
L’EUIPO ayant rejeté l’opposition, les requérants forment un recours devant le Tribunal de l’Union européenne et reçoivent d’ailleurs dans leur démarche l’appui de la République française et de la République italienne, excusez du peu.
Le Tribunal commence par rappeler que par principe, il n’est pas interdit qu’une marque puisse contenir ou consister en une AOP, ce qui est effectivement fréquent, mais sous certaines conditions ; lorsque l’enregistrement d’une telle marque se heurte aux différentes hypothèses prévues à cette fin (si l’AOP n’est pas conforme au cahier des charges du produit concerné ou si son utilisation relève des nombreux cas d’interdiction prévus à l’article 103 précité, notamment la fameuse « évocation » ou encore l’exploitation de la réputation une AOP), alors une telle marque peut être rejetée. Ce point est très important car pour certains, une appellation ne peut par principe pas être incluse dans une marque, avec bien sûr d’autres éléments ; ce point est désormais clair.
Mais le Tribunal censure l’Office européen des marques car selon lui, il a commis une erreur de droit en considérant que lorsqu’une telle marque, en l’occurrence NERO CHAMPAGNE, désigne bien des produits conformes au cahier des charges de l’appellation, cela crée une présomption irréfragable que cette marque ne peut pas contrevenir aux dispositions de l’article 103 précité.
En d’autres termes, l’Office considérait que si une marque comporte le nom de l’appellation à laquelle le vin a bien droit, alors par essence cette marque est valable et ne peut pas porter atteinte d’une quelconque manière à l’appellation.
Or c’est ce que le Tribunal rejette :
au contraire en effet, ce n’est pas parce que la marque NERO CHAMPAGNE désigne bien du Champagne qu’elle ne peut pas porter par ailleurs atteinte à l’AOP (voir, par exemple, la fameuse décision française COGNAPEA de l’INPI, sur opposition, du 26 août 2022, affirmant que cette marque était une évocation illicite de l’IG Cognac alors même que COGNAPEA était déposée pour du Cognac).
Cette présomption est donc simple et « peut être renversée lorsqu’il peut être démontré, sur la base d’éléments concrets, étayés et concordants, qu’une marque donnée est susceptible d’exploiter indûment la réputation d’une AOP, quand bien même elle ne désigne que des produits conformes au cahier des charges de cette AOP ou des services afférents ».
Le Tribunal reproche à la chambre de recours d’avoir considéré que les requérants n’avaient pas produit de tels éléments, alors qu’il ressortait au contraire de leurs écritures plusieurs éléments de cette nature.
Il est vrai que Nero Lifestyle et l’EUIPO avaient poussé le bouchon un peu loin.
Par ailleurs, le CIVC et l’INAO invoquent un autre moyen, tiré de l’absence de prise en compte par l’EUIPO des arguments présentés concernant le terme italien « nero », que l’Office a considéré comme n’induisant pas les consommateurs italiens en erreur.
Or, le terme « nero » est employé dans le nom de plusieurs cépages italiens tels que « Nero d’Avola » ou « Nero Buono », et est même inclus dans le nom d’AOP italiennes telles que « Pinot Nero dell’Oltrepò Pavese » ou « Castel del Monte Bombino Nero ».
Ce fait est confirmé par la décision de la division d’opposition, dans laquelle il est indiqué qu’il existe de multiples variétés de vignes qui incluent la caractéristique « nero » dans leur dénomination, telles que « Albana nera », « Bombino nero », « Greco nero », « Nero buono » ou encore « Nero d’Avola ».
La marque NERO CHAMPAGNE pourrait donc induire le public italien en erreur en lui faisant croire que la marque demandée évoque le cépage du champagne en cause.
Compris comme signifiant « noir », le terme « nero » peut aussi tromper le public qui pourrait croire à « une nouvelle variété de champagne, à savoir un « champagne noir », alors même que, selon le cahier des charges de l’AOP, un champagne ne peut être que blanc ou rosé ».
La coupe est pleine pour la chambre de recours dont cette autre erreur est sanctionnée par le Tribunal qui annule la décision attaquée et qui accueille l’opposition et rejette la marque NERO CHAMPAGNE.
Saluons cette décision comme il se doit : le CIVC, au même titre que le Bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC), a obtenu ces dernières années des décisions majeures confirmant la place très importante des indications géographiques en particulier parmi les droits de propriété intellectuelle et leur protection quasi absolue, notamment par rapport à des marques vitivinicoles.
L’arrêt NERO CHAMPAGNE est très important et à déguster sans modération, en ce qu’il clarifie donc les conditions dans lesquelles une marque peut englober une indication géographique et l’articulation entre cette possibilité et les autres atteintes pouvant lui être portées sur le fondement désormais de l’article 26 du règlement (UE) 2024/1143 du 11 avril 2024.
Champagne !
Maître Guillaume MARCHAIS pour WI&NE
guillaume.marchais@marchais.com
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