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Actualité
15 janvier 2020
Guide de bonnes pratiques : quelles précautions prendre pour surfer sur l’origine d’un produit ?
En matière de marketing, la référence à l’origine géographique d’un produit est une mention largement valorisée, car généralement perçue par les consommateurs comme un gage de qualité et d’authenticité.
Celle-ci bénéficie donc, en toute logique, d’une protection large et forte, que ce soit via la protection des appellations d’origine protégées (AOP) et indications géographiques protégées (IGP), ou plus généralement via le droit de la consommation et notamment ses dispositions en matière de tromperie.
Les nombreuses décisions rendues récemment en la matière confirment le caractère stratégique de cette notion, mais soulèvent également sa complexité, et les atteintes relevées n’apparaissant pas toujours volontaires !
Dès lors, afin d’éviter de tomber dans ces travers lors de l’élaboration de vos projets marketing, il convient de porter une attention particulière aux aspects suivants :
C’est un point qui peut sembler évident, et pourtant de nombreux opérateurs imaginent souvent pouvoir bénéficier d’une origine géographique prestigieuse pour leurs produits, quand bien même ceux-ci n’en bénéficient pas, dans le sens où, bien qu’ils proviennent d’une zone géographique précise, ils ne se conforment pas pour autant au cahier des charges de l’IG correspondante.
Revendiquer une AOP / IGP suppose une demande de reconnaissance à l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), sous réserve de l’existence d’un lien étroit entre le terroir, ou le territoire et les caractéristiques spécifiques du produit ; ledit lien est explicité dans le cahier des charges du signe de qualité concerné.
Ainsi, l’utilisation du nom d’une IG est protégée contre toute utilisation pour des produits comparables. Il sera par exemple interdit d’appeler « Riz de Camargue », « Jambon de Bayonne », « Tomme des Pyrénées », « Miel de Provence », un riz, jambon, fromage ou miel ne respectant pas les cahiers des charges respectifs de ces IGP.
Mais la protection des IG ne s’arrête pas aux produits comparables, puisque celles-ci sont également protégées contre toute utilisation commerciale directe ou indirecte exploitant leur réputation. A ainsi été condamnée l’utilisation de plusieurs AOP du vignoble bordelais parmi lesquelles « Bordeaux », « Margaux » ou « Saint-Émilion », pour commercialiser des thés, accompagnés de nombreuses références à l’univers viticole[1]. Vous trouverez ci-dessous l’un des packagings incriminés :
En résumé donc, on ne revendique pas une IG si son bénéfice n’a pas été octroyé au produit par l’organisme compétent.
Nous développons au point suivant des précautions moins simples à prendre illustrant toute la dimension de la forte protection des IG évoquée en introduction.
Au moment du choix de la dénomination verbale du produit, notamment de la marque, il faut porter une vigilance particulière pour éviter l’évocation d’une IG.
L’évocation d’une IG peut constituer une atteinte à l’IG en tant que telle, mais elle peut aussi faire du nom du produit un élément déceptif (c’est-à-dire trompeur) pour le consommateur.
Pour ce qui est de l’atteinte aux IG, pour être tout à fait complets, rappelons que les textes interdisent « toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que ‘genre’, ‘type’, ‘méthode’, ‘façon’, ‘imitation’, ‘goût’, ‘manière’ ou d’une expression similaire », conformément à l’article 21 du Règlement 2019/797 pour les boissons spiritueuses, article 103 du Règlement 1308/2013 article 13 du Règlement 1151/2012 pour les produits agricoles et les denrées alimentaires.
Ainsi l’évocation d’une IG est un terrain glissant sachant que cette notion est entendue de manière large.
Comment se matérialise l’évocation ? Sur le terrain de l’atteinte à l’IG les exemples jurisprudentiels sont fleurissants : de manière assez évidente, l’évocation peut être la reprise modifiée du nom de l’IG, mais plus subtilement l’évocation peut aussi naître de l’utilisation d’un terme reprenant les codes de l’IG en question.
L’atteinte a été caractérisée notamment pour les marques QUART DE CHAMP[2], SHAMPANSKOE[3], CHAMPALLAL[4], KONYAK[5], KAGOR[6], s’agissant des appellations Champagne, Cognac et Cahors.
De plus, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) était favorable à la reconnaissance d’une atteinte de l’IG Cognac concernant l’utilisation du terme KONJAKKIA pour une boisson spiritueuse finlandaise[7] et de l’IG Calvados pour l’usage de la dénomination VERLADOS pour une boisson spiritueuse finlandaise, bien que l’origine réelle du produit soit indiquée sur l’étiquetage[8].
Nous vous invitons à comparer les visuels de ce dernier cas :
À titre d’exemple, la CJUE invite la juridiction allemande à reconnaitre l’existence d’une évocation de l’IG Scotch Whisky dans l’utilisation de la dénomination GLEN BUCHENBACH pour désigner un whisky produit en Allemagne dans la vallée de Buchenbach, en raison de l’utilisation du terme « Glen » communément utilisé par les maisons de Scotch Whisky[9].
Pour illustrer nos propos, vous trouverez ci-après l’étiquetage GLEN BUCHENBACH à gauche et différentes bouteilles de Scotch Whisky portant le terme « Glen » en question.
Vous constatez donc que l’évocation peut venir de la dénomination verbale du produit, la dénomination de vente ou encore la marque qui l’identifie, mais elle peut également naitre de l’utilisation d’un visuel.
Nous voyons donc en suivant que les précautions à prendre doivent aussi concerner le packaging du produit et ses éléments visuels.
En effet, les éléments graphiques de la marque et le visuel de l’étiquetage ou encore la communication relative au produit sont autant d’éléments qui peuvent entrainer la caractérisation d’une atteinte à une IG, d’un risque de tromperie ou encore d’une pratique commerciale trompeuse.
La CJUE a récemment considéré que les éléments figuratifs d’un packaging peuvent entrainer l’atteinte à l’IG[10]. Pour être précis, dans le cas d’espèce, les éléments en question faisaient référence à l’aire géographique de l’IG.
En résumé, il s’agit d’une société espagnole qui commercialise trois de ses fromages en utilisant des étiquettes comportant le dessin d’un cavalier ressemblant aux représentations habituelles de Don Quichotte de La Manche, d’un cheval maigre et de paysages avec des moulins à vent et des brebis, ainsi que les termes « Quesos Rocinante » (fromages Rossinante). Ces images et le terme « Rocinante » font référence au roman Don Quichotte de La Manche, de Miguel de Cervantès, Rossinante étant le nom du cheval monté par Don Quichotte. Pourtant, les fromages en question ne sont pas couverts par l’IG « QUESO MANCHEGO » qui couvre les fromages élaborés dans la région de La Mancha (Espagne).
Voici ci-après une représentation de deux des fromages incriminés dans cette affaire :
Enfin, les AOP bénéficient d’une protection élargie contre « toute pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit » (cf. les textes européens cités au point 2), atteinte à nouveau couverte par le droit de consommation évoqué plus haut.
Ainsi, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) a mené entre 2016 et 2017 une large enquête sur la présentation des vins étrangers et en particulier des vins espagnols, ayant donné lieu à de nombreux procès-verbaux pour des faits relevant de la pratique commerciale trompeuse.
Parmi les cas relevés, nombreux consistaient en l’utilisation de packaging susceptibles d’induire le consommateur en erreur quant à l’origine du vin : par exemple, la présence d’une fleur de lys et d’une cocarde française pour un vin espagnol, la représentation d’un château pour un vin d’assemblage, etc.
Depuis avril, c’est le packaging d’un fromage « Bleu de Brebis » commercialisé sous la marque SOCIETE, qui fait le cœur de l’actualité, les défenseurs de l’appellation d’origine protégée (AOP) Roquefort dénonçant un packaging susceptible de tromper les c
onsommateurs et surfant sur la notoriété de l’appellation.
À titre d’illustration, vous trouverez ci-après le packaging du Bleu de Brebis sans AOP à gauche, et du fromage d’AOP Roquefort à droite :
Les risques de tromperie du consommateur vont encore plus loin car ils peuvent naitre de la présentation des produits dans les rayonnages, ces risques échappent donc naturellement au producteur, premier maillon de la chaîne de commercialisation, mais il frappe directement les cavistes, supermarchés voire même nous pouvons l’imaginer les hôtels et restaurants dans le cadre de la présentation de leurs cartes.
L’attention des fraudes s’est en effet récemment portée sur la présentation des produits en magasin. C’est ainsi qu’en juin dernier, le tribunal correctionnel de Nîmes a condamné le propriétaire de l’enseigne Intermarché de Milhaud à une amende de 15 000 € pour pratiques commerciales trompeuses sur l’origine des vins présentés dans ses rayons. L’enseigne, en plus de proposer à la vente des vins d’Espagne sous la mention « vins de Pays d’Oc », présentait des irrégularités d’affichages sur les linéaires et têtes de gondole, laissant croire à une origine française des vins commercialisés.
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Notre analyse concrète des cas d’atteinte aux IG ou de tromperie sur l’origine/la qualité au sens large montre bien qu’aussi attractive soit elle, la notion d’origine doit être utilisée avec précaution, car les usages litigieux ne sont pas des cas isolés mais ils constituent aujourd’hui une jurisprudence bien établie et pointilleuse.
Il est donc opportun de challenger vos nouveaux projets à la lumière des trois points ci-dessus, pour éviter les écueils et permettre à votre projet de prospérer sereinement.
Dans cette optique, nous conduisons des analyses au cas par cas dans l’idée de réduire les faisceaux d’indice conduisant à caractériser une atteinte/tromperie. En effet, tous les cas ne sont pas évidents.
Annabella BIFFI et Marion ALARY – Juristes en propriété intellectuelle au sein du département LexWine.
[1] Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 1, 11 Septembre 2018 – n° 17/01272
[2] Tribunal de Grande Instance de Nanterre, 24 juin 2002
[3] Cour d’appel de Paris, 25 avril 2007
[4] Cour d’appel de Paris, 3 novembre 2010
[5] Tribunal de Grande Instance de Paris, 16 mars 2006
[6] Idem
[7] Cour de Justice de l’Union européenne, 14 juillet 2011
[8] Cour de Justice de l’Union européenne, 21 janvier 2016
[9] Cour de Justice de l’Union européenne, 14 juin 2018
[10] Cour de Justice de l’Union européenne, 2 mai 2019
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